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Au siècle dernier, en début des seventies, il n’était pas facile de trouver et d’écouter du rock US ou anglais.
J’habitais en province et il existait un seul disquaire dans la rue principale tenu par une dame charmante d’une quarantaine d’années qui venait d’ouvrir son magasin en espérant vendre de la variété française, quelques disques classiques et un peu de pop music.
La brave commerçante comprit assez vite que sa vie ne serait pas si paisible quand elle vit débarquer dans son officine des grappes de mômes aux cheveux qui commençaient à pousser dangereusement et qui demandait les nouveaux Pink Floyd, Hendrix, Soft Machine, Led Zeppelin…
Très vite la disquaire commanda quelques LP qui se vendaient comme des petits pains, d’autant qu’il n’y en avait souvent qu’un seul exemplaire. Ainsi je parvins à arracher de haute lutte Tarkus d’Emerson Lake & Palmer, Rainbow Bridge de Jimi et mon plus beau trophée le Grateful Dead Live, la double pochette avec le squelette.
Mais très vite, les livraisons du disquaire local ne purent assouvir notre soif de musique. Rock& Folk et Best chaque mois chroniquaient des tas de disques qui malgré nos demandes ne parvenaient pas à nos oreilles.
C’est alors que je devins un personnage important. Pour une raison toute bête. Mon père travaillait à la SNCF, aussi jusqu’à mes 21 ans, mes voyages en train étaient gratuits. Alors, je collectais les listes de mes petits camarades et je faisais un aller/retour à Troyes pour dévaster le rayon disques des Magasins Réunis (remplacés maintenant par une…FNAC). C’était déjà mieux, mais néanmoins aucun import à se mettre entre les oreilles, ces disques fabuleux chroniqués dans la rubrique import de Rock’and Folk et qui TOUJOURS étaient mieux que les autres.
Il fallait aller plus loin, car les imports ne pouvaient s’acheter que par correspondance chez Wah Wah music, mais c’était long et cher……..
Alors après un concile important et décisif tenu dans la cour du lycée, il fut décidé que j’irais à Paris chercher le graal. Et un samedi par mois, je prenais le train vers 8h30/9h à Romilly, arrivée Gare de l’Est vers 10h15 et là pas une seconde à perdre. Muni d’une dizaine de listes je m’engouffrais dans le métro direction Châtelet, fonçais à la FNAC Sébastopol ou chez Radio Pygmalion en face (les LP étaient un poil moins cher) pour acheter les 33 en pressage français. Ensuite à 150 mètres, direction l’Open Market Rue des Lombards où officiait pendant une courte durée Yves Adrien et toujours le boss Marc Zermatti.
C’est là que j’ai entendu pour la première fois les Flamin’Groovies et le Fun House des Stooges. L’OPEN était une boutique spécialisée, le pauvre gars égaré qui cherchait un Pink Floyd risquait de prendre un coup de santiag, par contre pour le rock US c’était le top ! Ensuite, cap sur le Carrefour de l’Odéon, Music Action, La Mecque des imports US. Le mec qui tenait la boutique (je crois hélas qu’il est décédé depuis d’une maladie) était cool, c’est lui qui proposait d’écouter les disques, en déchirant le plastique, là bas j’ai entendu pour la première fois le Friday of my Mind repris par Earthquake, Armageddon, les lives de Led Zep et j’en passe. J’ai appris pourquoi certains LP avaient les coins coupés, j’ai regardé des tas de pochettes de groupes US que je ne connaissais pas. Et puis la sono était puissante, les basses cognaient, le solos de guitares déchiraient l’espace; les nappes d’orgue retapissaient les murs.
Chez Music Action, pas de frime, de rocker attitude, le gars était très simple, connaissait parfaitement tous les courants musicaux, je me suis souvent demandé comment il pouvait écouter tous les LP et surtout conseiller avec une telle facilité les clients. Et puis le débat s’installait entre les clients, quelquefois des rocks critics passaient, et ils repartaient, sous nos regards envieux, avec un paquet d’imports sous le bras qu’ils ne payaient pas.
En sortant de Music Action j’étais bien chargé (à plusieurs reprises, j’emportais une valise vide qui revenait lestée, car les sacs plastiques me déchiraient les doigts), quelquefois je poussais chez Givaudan plus haut sur le Bld St Germain, mais aussi plus cher et moins sympa.
Plus tard, toujours Bld Sébastopol, le Mur du Son ouvrira et dans cet espace tout en longueur, on y trouvera des tas de pirates.
Je reprenais un train vers 13h30 et j’étais attendu comme le messie à mon arrivée à la gare par toute une bande de chevelus déjantés qui trépignaient au fur et à mesure que je sortais les disques, qui râlaient si l’un était épuisé. Et là le marchandage commençait, la plupart avançaient les fonds, mais certains attendaient mon retour, mais no money no music. Je conservais en otage les disques, et en profitait pour les écouter.
Et j’avais un énorme avantage, étant sur place je pouvais acheter des LP inconnus et modifier mes projets d’achat ce qui faisait baver mes petits camarades qui eux étaient obliger de faire une liste. C’est ainsi que Steve Miller Band, Quicksilver Messenger Service, Allman Brothers, MC5, Jefferson Airplane, The Band, arrivèrent sur les platines de ma province.

Ce texte est dédié à Philippe Garnier, grand chercheur de disques, qui dans son bouquin les Coins Coupés explique cette passion, lui qui a écumé les USA et dont les articles ont donné le goût de la musique à des tas de mecs comme moi.

Tag(s) : #MUSIQUE
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